Publié le 4 décembre 2012 (Sud Quotidien)
Au poker, quand un joueur a la meilleure main qui soit et perd sa mise, on parle de « BAD BEAT ».
Ce joueur est un « FISH », c’est à dire un joueur débutant, inexpérimenté qui commet des erreurs grossières et visibles.
Après plus de 6 mois de fonctionnement, le gouvernement du Sénégal donne cette impression désagréable d’amateurisme, d’impréparation à la gestion de l’Etat, de pusillanimité, de pilotage à courte vue et quelque fois plus grave de reproduire ce que Wade a appris à beaucoup d’entre eux du temps de leur fameux compagnonnage.
En somme du Wade sans Wade.
Et pourtant nous avons tellement attendu ce changement !
12 ans d’un pouvoir qui a réduit à néant notre culture des règles de la bonne administration publique, de l’Etat de droit, réduite à néant au profit de coteries familiales et financières.
Nous en étions tous devenus des nostalgiques des pouvoirs de Senghor, de Diouf, qui malgré tous leurs défauts, que nous avons combattus à l’époque, avaient comme vertu principale : l’attachement au fonctionnement républicain des institutions publiques.
Le décès de Assane Seck nous fournit l’occasion de revenir sur la probité et le respect du bien public qu’avaient les premiers cadres de ce pays.
Voilà un homme, ministre pendant 10, ans qui a toujours vécu à FASS en face du Canal sans ostentation et enrichissement visible. Les ministres de Wade sont tous millionnaires quelques mois après leur désignation.
Autre temps, autres mœurs. Le pouvoir de Wade c’était le retour du refoulé du pouvoir ceddo.
Si je devais donner un conseil à nos chercheurs et à nos élites ce serait de relire l’étude de Etienne Le Roy « Damel, ceddo et badolo face aux métamorphoses du pouvoir dans le royaume wolof du Cajor (Sénégal aux XVIIIe et XIXe siècles) » Paris, Politique africaine 1981.
Le Roy posait la question de savoir si Damel LAT Sucabé est l’ancêtre des tyrans de l’Afrique moderne ?
« Sa paranoïa au pouvoir, loin d’être un accident de l’histoire, effectue, une rupture politique radicale qui met les Wolofs sous la coupe d’un pouvoir autocratique et guerrier avec le règne de l’arbitraire, la répression, la méfiance, l’exil des opposants ». Le règne de Lat Sucabé, donne un statut politique à la violence.
Loin d’être une dictature, le pouvoir de Wade a institué la violence politique et physique en mode d’action. Il a érigé le fait du prince, l’oukase, le rapport de forces, la confrontation permanente, la dérive dans la gestion des finances publiques, et la prévarication comme mode gouvernement.
Je connais très peu de sénégalais qui regretteront ce pouvoir sénile, même ceux nombreux qui ont voté pour lui.
Ce serait banalement normal. Nous sommes en démocratie et Abdoulaye a recueilli 942.546 suffrages soient 34,82% des votants.
Mais alors pourquoi ne sommes –nous pas à l’aise actuellement avec ce gouvernement, et pourquoi ne pas le dire, avec Maky SALL.
Un vote honteux ? « Cacher ce que je ne saurais voir ».
Qu’est ce qui fait cet indéfinissable sentiment de malaise devant les actes que pose le gouvernement ou devant son inaction ?
Les Sénégalais courent consulter les augures (les Saltigués ou Selbé Ngom) pour savoir à quel moment l’avion va tomber sur l’université de Dakar (ou le palais de l’avenue Roume)
Imaginer cette scène, qui a retenu le souffle de beaucoup d’étudiants en train de scruter le ciel pour voir l’avion qui allait tomber, renseigne sur l‘état de la société sénégalaise que Wade nous a laissé. Si même dans ce lieu supposé être celui du savoir et de l’enseignement des sciences, de toutes les sciences, l’irrationnel, la superstition, la bigoterie se sont installés, notre pays a encore un très long chemin à faire dans la voie du développement.
Et pendant ce temps, tout le monde se demande où va ce gouvernement ?
Passons sur les nominations inappropriées, la taille du gouvernement, le retour encore timide du népotisme, les fonds secrets de la présidence reconstitués, un véhicule 4×4 pour chaque parlementaire, le retour du conseil économique et social.
Le plus important c’est le sentiment qui commence à s’installer chez les citoyens sénégalais du « tous les mêmes », pour ne pas dire « tous pourris ».
De Dakar, à Diourbel, Saint Louis, Thiès, Ziguinchor, dans les maisons, dans la rue, à la campagne, les propos sont encore plus durs, pour ne pas dire injurieux comme nous savons le faire quand nous sommes exaspérés dans ce pays.
Un programme électoral ne suffit pas à faire un programme de gouvernement. Il est nécessaire, mais pas suffisant.
La différence entre les deux, ce sont les contraintes économiques, fiscales, financières que l’on découvre une fois au pouvoir.
C’est le poids des engagements antérieurs sur la dette intérieure et extérieure.
Le tour de passe-passe sur la baisse des produits de première nécessité au début du mandat, se retourne contre le gouvernement aujourd’hui, parce que les Sénégalais le savent, qui vont au marché tous les jours, que les prix loin de baisser, ont même tendance pour certains à augmenter.
Les engagements du candidat Macky SALL sur la couverture maladie universelle, sont importants, mais pourquoi ce pouvoir ne confie pas cette question aux experts dont regorge ce pays, ici et dans sa diaspora pour étudier et mettre en place les meilleures conditions de sa mise en œuvre.
A jouer les apprentis sorciers, cette réforme peut mettre à genou tout notre système de santé déjà très fragile
On n’improvise pas dans ce domaine. On n’a pas le droit.
Pourquoi, ce gouvernement et le président ne font-ils pas confiance à l’expertise sénégalaise, réputée partout en Afrique et dans les institutions internationales,
Il est atteint de ce mal typiquement sénégalais du complexe d’infériorité ou de supériorité (c’est selon) de nos élites entre ces membres.
On devrait regarder du côté du Maroc, de la Tunisie, de l’Afrique du Sud qui ouvre leurs bras à leurs experts locaux et dans la diaspora.
Pendant ce temps, à longueur de colonnes, de radio et d’antennes, des « experts de tout », ratiocinent, bavassent, discourent et jacassent, sur tout et rien sans aucune compétence sur le sujet et imposent l’actualité.
Les proclamations sur la bonne gouvernance, la nomination plutôt sympathique de Abdou Latif Coulibaly (un des meilleurs journalistes de sa génération, malgré un égo surdimensionné qui très vite va le faire penser qu’il doit être calife à la place du calife), ne fait pas une politique gouvernementale.
Cet engagement qui aurait pu être le véritable marqueur ou, comme dit l’autre trivialement, « le gros rouge qui tâche » de ce nouveau pouvoir, est en train de virer en eau de boudin ou plutôt de « dibi mbouss » pour rester dans le registre sénégalais.
Parions que les proclamations guerrières d’aujourd’hui vont vite s’éteindre, quand on s’apercevra quelle que soit l’estime que nous avons envers nos forces de gendarmerie, qu’elles n’ont pas les qualités techniques et professionnelles d’une brigade financière.
La traque de la délinquance financière, des détournements des biens publics ne s’improvise pas. Elle ne relève pas des mêmes techniques d’enquête policière.
Ce qui ressort des auditions actuelles (ce que la presse en rapporte) est confondant de banalité, si ce n’est d’amateurisme.
Et ce n’est pas le retour triomphal et en une des quotidiens, de tournée en Europe de notre Task Force d’avocats, chargé d’aller débusquer les biens mal acquis planqués dans les coffres des banques occidentales, qui est fait pour nous rassurer.
Ce pouvoir n’aura pas de deuxième chance.
Rappelons que Macky n’a réuni que 719.369 voix, soit 26,57%. La sociologie électorale a depuis longtemps donné la règle. Au premier tour on choisit, au second on élimine.
Une règle imparable pour un scrutin majoritaire à deux tours qui avait une signification particulière pour cette élection présidentielle avec quatorze candidats.
Avec un tel score au premier tour le président Macky Sall aurait tort de penser qu’il a un état de grâce.
Son socle électoral c’est un quart de l’électorat sénégalais. C’est faible.
Wade avait fait plus derrière Diouf en 2000 avec 518 740 votants soient 31% des suffrages exprimés et 8 candidats au premier tour.
Le nombre d’inscrits ayant doublé entre 2000 et 2012. Il est passé de 2 725 987 en 2000 à 5 303 555 électeurs en 2012.
La société sénégalaise est grosse d’impatience sur ses attentes, de vérité sur la réalité de la situation économique, de transparence sur les actes de gestion du gouvernement.
Elle n’acceptera pas un succédané de wadisme, ni de dioufisme (de la dernière période).
Il n’est que d’écouter tous les jours ce qui sourd, dans les familles, parmi les salariés du privé et fonctionnaires, parmi les jeunes, lycéens, étudiants, chômeurs, marchands ambulants etc.
La voix des citoyens n’est pas dans cette mauvaise presse, paresseuse, graveleuse, qui tous les jours fait sa chasse aux boucs émissaires – thiantacounes, homo, jeunes femmes et jeunes hommes bien dans leur époque, étrangers – au risque d’entraîner ce pays dans le chaos.
Elle n’est pas non plus dans ces sempiternels bavards, que nous voyons depuis 10 ans meubler la presse télévisuelle à la place des vrais experts reconnus par leurs pairs, dans tous les domaines. Qui n’a pas entendu cette expression courante dans tout le pays : « nous sommes fatigués ». Elle dissimule, une attente très forte vis-à-vis du gouvernement, de la colère rentrée qui trouvera, s’il le faut, son exutoire, un début de défiance vis-à-vis des pouvoirs publics.
Ce gouvernement et le président Macky Sall doivent dire ce qu’ils veulent faire.
Vite.
La chasse aux prévaricateurs et autres délinquants issus du wadisme ne peut tenir de politique, surtout si elle se dégonfle, parce qu’on n’est pas en mesure de leur faire rendre gorge.
Le nouveau code fiscal est un exemple de la capacité des cadres de ce pays à travailler ensemble avec tous les acteurs sur un projet de taille, parce qu’il ne s’agit rien de moins que de renforcer l’avantage compétitif de notre pays, pour promouvoir et attirer des investisseurs. Ce nouveau code était en chantier avant l’arrivée de Macky Sall au pouvoir.
La nouvelle politique agricole pourrait être une illustration majeure du fonctionnement du nouveau pouvoir.
Pour se défaire au plus vite de l’escroquerie politique que constitue la GOANA, le président et son gouvernement doivent annoncer leurs priorités dans ce domaine.
L’effet d’aubaine de la bonne pluviométrie ne se répétera peut-être pas du fait du dérèglement climatique. Autant alors dire maintenant quelles seront les priorités.
On peut ne pas être d’accord avec les propos de Saliou Sarr, membre du Comité interprofessionnel de la filière du riz de la Vallée, dans « Quotidien du 30 octobre 2012 » sur l’ambition de l’autosuffisance en riz, mais ses propos d’expert producteur sont pertinents. Ils méritent un débat public sur les vertus de la petite exploitation et les grands aménagements hydro agricoles.
Le gouvernement pendant ce temps là ne communique que sur les errements du wadisme. Alors qu’il est attendu par les citoyens sur les vrais choix économiques et sociaux pour que notre pays ne retombe pas dans ces vieux démons du bavardage, pendant que le Ghana, le Kenya avancent à grand pas et que la Côte d’Ivoire retrouve les chemins de la croissance.
Le narco trafic, à l’œuvre dans les Etats voyous voisins a, désormais, gangrené plusieurs secteurs de notre économie. Ne nous y trompons pas, les arrestations actuelles, pour spectaculaires qu’elles soient ne sont que des épiphénomènes à côté de ce qui va arriver plus tard. Le gouvernement ne nous parle pas des mesures qu’il compte mettre en œuvre pour faire face à ce fléau désormais installé chez nous.
La rentrée universitaire est catastrophique avec la surcharge explosive des amphis et des salles de TD, la carence avérée, depuis longtemps, du service des œuvres universitaires.
L’université de Dakar est une bombe qui risque de nous exploser à la figure.
Pendant ce temps, le gouvernement ne dit rien et c’est SL Niasse qui meuble avec ses passeports diplomatiques et ses déboires avec le fisc.
Dans quel Sénégal vivons-nous, pour que les enjeux majeurs du développement économique, de l’éducation, soient occultés par quelques apprentis sorciers trop longtemps au-devant de l’actualité, au détriment des débats de fond que les citoyens attendent ?
Et on nous amuse avec Benno Bokk Yaakar, APR, Tanor, Niasse et Idy, qui sont le dernier souci des citoyens sénégalais.
Macky Sall et son gouvernement n’auront pas de seconde chance. Ils gaspillent la première et peut être la seule qu’ils auront.
Courir à Touba, Tivaouane, Kaolack, Ndiassane n’aura plus aucun effet. La chute de Wade nous l’a suffisamment montré.
Babacar FALL
