Penser au-delà du bruit et de la fureur.

Dans un pays où tous semblent parler en même temps, le vrai courage est peut-être de savoir se taire un moment pour penser.
J’avais arrêté ce blog depuis plus d’une année. J’ai pris le temps d’écouter, d’échanger, de regarder ce pays et de sentir son cœur battre.

Dans un pays où tous semblent parler en même temps, le vrai courage est peut-être de savoir se taire un moment pour penser.

J’avais arrêté ce blog depuis plus d’une année. J’ai pris le temps d’écouter, d’échanger, de regarder ce pays et de sentir son cœur battre. 

Le Sénégal est à l’image de ce baobab majestueux, plusieurs fois centenaire sur l’ile de Dionewar sur les berges du Saloum qui regarde le tumulte du monde tel le fleuve qui coule à ses pieds.

Le vacarme des jours

Il y a des moments où le Sénégal ressemble à une place publique sans fin.

Tout le monde parle, s’indigne, commente, prophétise.

Les bourreaux d’hier qui essaient de se faire passer pour des victimes.

Ceux qui se sont gavés d’argent public et ingurgiter jusqu’à plus soif veulent apparaître comme des martyrs aujourd’hui. L’incarcération à Rebeus apparaît comme la summum du déshonneur. Passe encore le pavillon spécial des malades incarcérés mais la prison, non pas la prison pour eux. 
Alors les plateaux télé qu’ils continuent de biberonner débordent, les réseaux sociaux alimentés brûlent, les conversations s’enflamment au moindre mot.
Le bruit est partout — un bruit qui ne laisse plus respirer la pensée et le discernement.

On ne cherche plus à comprendre, mais à réagir, même pour les acteurs les plus avisés et pas dupes.
Chacun veut avoir raison, tout de suite, bruyamment.
Et pourtant, plus le bruit augmente, plus le sens s’éloigne.
On confond la passion avec la profondeur, l’indignation avec la lucidité.

La démocratie, elle, demande autre chose : du recul, de la lenteur (du temps), du discernement.

La fureur et ses blessures

Sous le bruit, il y a la fureur.
Une fureur qui n’est pas seulement politique : elle est sociale, générationnelle, existentielle.
C’est la colère d’une jeunesse brillante, impatiente, ouverte au monde, mais bloquée, instruite mais sans espace, connectée mais frustrée.
C’est aussi la fatigue d’un peuple qui travaille dur, mais qui ne voit pas toujours le fruit de son effort.

La vie chère, l’insécurité, la récession économique qui s’installe insidieusement, anéantissent les espérances soulevées par la victoire de Ousmane Sonko et Diomaye Faye.

Cette fureur est juste.

Et c’est elle qui a posé les prémisses de la révolution démocratique en cours.
Mais elle devient dangereuse quand elle n’a plus d’horizon, quand elle n’est plus orientée par une pensée.
Elle peut se transformer alors en spirale, en déferlement. Et au lieu de bâtir, elle peut tout brûler comme l’expérience et l’histoire des révolutions dans le monde nous en ont donné souvent une illustration.

Revenir à l’essentiel : penser

Penser au-delà du bruit et de la fureur, c’est un acte presque spirituel.
C’est refuser de se laisser happer par le tumulte du moment pour revenir à ce qui dure.
C’est s’asseoir, observer, écouter — non pour fuir, mais pour comprendre.

Le Sénégal a toujours su le faire.
Nos traditions sont souvent des écoles de pensée.
On y apprend que parler ne suffit pas : il faut chercher le vrai mot, celui qui apaise et éclaire.

Penser, ce n’est pas se taire : c’est parler autrement.

Et pour reprendre la formule de Lénine : là où il y a une volonté, il y a un chemin.

L’éthique du discernement

Le vrai enjeu du Sénégal n’est pas seulement institutionnel, mais intérieur.

Pastef n’a pas engendré la révolution démocratique actuelle comme le démiurge qui façonne l’univers à partir d’un chaos préexistant, en s’inspirant des formes intelligibles et éternelles pour créer un monde ordonné et beau.

Ousmane Sonko n’essaie pas de créer le monde à partir de rien (ex nihilo), mais organise une matière désordonnée, introduisant un ordre par la proportion et la raison. C’est du moins de ce que j’ai compris de ses déclarations et de ses écrits.

Elle sourd depuis de nombreuses années, de la contestation du vol des deniers publics, de la gabegie qui a régné dans les hautes sphères des pouvoirs passés.

Elle sourd depuis les 12 ans au pouvoir Abdoulaye Wade, qui a réduit à néant notre culture des règles de la bonne administration publique, de l’Etat de droit, au profit de coteries familiales et financières. Et a engendré le retour du refoulé du pouvoir ceddo ou ce que le professeur Mamadou Diouf appelle le modèle islamo-wolof de l’Etat.

Elle sourd après la poursuite du wadisme sans Wade, avec la mise en place par Macky et les siens de la gestion clanique et mafieuse de l’Etat, prêts à tout pour piller et massacrer sans remords toutes contestations.

Nous avons besoin d’une éthique du discernement.
D’apprendre à distinguer l’émotion de l’information, la critique de la haine, la conviction du fanatisme.

Il faut remettre la pensée, l’éducation, la culture au centre du débat national.
Non pour créer une élite qui parle seule, mais pour reconstruire un langage commun,
où la parole retrouve sa valeur.

En somme, l’objectif de la révolution démocratique en cours est de « faire Nation », c’est-à-dire continuer à créer un sentiment d’appartenance commune chez tous les citoyens de ce pays, en renforçant le sentiment d’une destinée et d’une solidarité partagées.

Cela passe, par la construction de liens sociaux forts et la mise en place des conditions d’équité, de justice et de confiance entre les citoyens que nous sommes.

Et la clarté morale est une forme de courage politique. C’est ce que résume à mon sens la formule : Jub, Jubal, Jubanti. Des concepts moraux wolof qui veulent simplement traduire ces valeurs : transparence, justice, redressement.

Penser, c’est aimer le pays

Penser, dans ces temps troublés, c’est résister à la banalité du mal en refusant de suivre le courant comme le dit Hannah Arendt.

Le mal étant ce sentiment dans lequel les épigones de Wade (Macky et les siens) veulent plonger ce pays.

A l’aide des méthodes démoralisantes qui transforment les citoyens pensants en automates, ils veulent tuer la volonté des citoyens, le caractère, la dignité. La coterie gouvernante balayée en mars 2024, a su devenir grâce aux milliards détournés, une petite oligarchie qui se veut, même masquée, inamovible et inviolable.
Le bruit passera.
La fureur aussi.
Mais ce qui restera, c’est la qualité de notre regard collectif — notre capacité à dire :voilà où nous voulons aller ensemble.

Ce pays a besoin de citoyens qui écoutent avant de répondre, de leaders qui pensent avant de parler, et d’une jeunesse qui croit que le silence, parfois, est plus fort que le cri.

Parce qu’au fond, penser au-delà du bruit et de la fureur, ce n’est pas s’éloigner des réalités du Sénégal : c’est apprendre à le voir tel qu’il est — pour mieux le transformer.

Sénégal: laïcité/sécularisme

Le post sur Facebook de Mary Teuw Niane du 14 septembre 2022 : « la laïcité, un tabou étranger à notre culture » me donne l’occasion de revenir sur un sujet qui est un nœud gordien pour l’évolution de la République. Qu’est-ce qu’un citoyen ? Quel sens donner au pacte social, ou pour reprendre la magnifique expression senghorienne, « notre commun vouloir de vie commune. »

Mais avant, il est nécessaire de clarifier le débat et cerner ses enjeux.  

1. La laïcité à la française 

La première définition formelle de la laïcité fut exprimée, en 1881, par Ferdinand Buisson, philosophe, homme politique et cofondateur de la ligue des droits de l’homme en 1898. Il considère la laïcité comme le résultat d’un processus historique au cours duquel la sphère publique s’est affranchie du pouvoir de la religion. Il en résulte l’État laïque, neutre à l’égard de tous les cultes, indépendant de tous les clergés, pour réaliser l’égalité de tous les citoyens devant la loi, avec des droits assurés en dehors de toute condition religieuse et la liberté de tous les cultes.

Cette spécificité française trouve sa traduction dans la loi dite de séparation de l’église et de l’Etat de 1905. Les historiens sont tous d’accord aujourd’hui pour démontrer qu’il y a plusieurs modèles qui se sont affrontés lors des débats parlementaires de l’époque. Cependant dans le cadre de cette analyse, je retiendrai le modèle majoritaire porté par Aristide Briand et Jean Jaurès. Jean Baubérot le définit ainsi : « La loi non seulement assure la liberté de conscience et le libre exercice des cultes (article 1) mais respecte l’organisation de chaque religion (article 4), même si aucune religion n’est désormais « reconnue » ni financée sur fonds publics (article 2).

La laïcité ainsi définie par la loi autour de la liberté de conscience, comporte une dimension qui déborde l’aspect strictement individuel. Avec l’instauration d’aumôneries sur fonds publics (fin de l’article 2), avec la dévolution gracieuse des édifices du culte, propriété publique, aux associations cultuelles et diocésaines (articles 7 à 17), avec la construction, dès les années 1920, de la Grande Mosquée de Paris, la loi de 1905 et son application ultérieure ont fait que, dans certains cas, l’exercice de la liberté de conscience comme « liberté de culte », garantie par l’article 1 de la loi de 1905, doit l’emporter sur l’absence de subvention. C’est la position constante du Conseil d’État en France, et d’associations comme la Ligue de l’enseignement ou la Ligue des droits de l’homme qui a aussi permis enfin, durant les années 2000 la construction de carrés musulmans dans beaucoup de cimetières et de centaines de mosquées dans plusieurs villes de France.

Pour les sociologues des religions, la laïcité française ne constitue pas une exception, mais s’inscrit dans la même dynamique historique que les différents sécularismes qui ont traversé l’histoire mondiale.

Enfin, Mary Teuw ne comprend pas le concordat en Alsace-Moselle : « en France même, le principe de la laïcité n’est pas universel. » En fait ce dont il s’agit, c’est du statut spécifique des trois départements d’Alsace-Moselle, qui n’étaient pas français de la fin de la guerre de 1870-1871 à 1919 (après la Première Guerre mondiale). Les lois de laïcisation de l’école publique et la loi de 1905 ne leur ont donc pas été appliquées quand elles ont été votées.  Ces trois départements ont globalement, conservé le régime issu de la loi Falloux de 1850 (pour l’école publique) et le régime du Concordat et des Articles organiques (1802) qui induit un financement des « cultes reconnus » et le paiement de leur clergé sur fonds publics. Quand ces départements sont redevenus français leur régime spécifique a été maintenu « à titre provisoire ». Non seulement ce « provisoire » dure encore, mais le Conseil constitutionnel a rendu une décision selon laquelle un tel statut juridique est conforme à la laïcité de la République énoncée par la Constitution.

2. Définition et historique du concept de sécularisme

Le terme sécularisme est un anglicisme. Il s’agit d’une doctrine selon laquelle la religion ne doit pas avoir, ni chercher à avoir de pouvoir politique ou législatif.

Elle prône la séparation de l’Eglise et de l’Etat et affirme en corollaire que le pouvoir politique ne doit pas intervenir dans les affaires propres aux institutions religieuses.

Le sécularisme désigne une tendance objective et universelle à faire passer les valeurs sociales du domaine du sacré à celui du profane.

On peut le penser comme l’exigence de la séparation des institutions séculières du gouvernement et de la religion, mais il ne s’y réduit pas.

Il renvoie à la désacralisation de l’organisation sociale perçue non pas comme une donnée naturelle exigeant l’adhésion automatique aux valeurs établies, mais plutôt comme un produit de l’histoire des politiques humaines.

a.    Sécularisme et sécularisation en Europe

Le processus historique de sécularisation est d’abord apparu sous la chrétienté médiévale ou dans les empires islamiques et sans aucun doute dans d’autres sociétés également.

L’art, le droit, ou la politique conquièrent au fil du temps leur autonomie à l’égard d’une pensée religieuse qui les avait d’abord fondés.

La séparation est acquise entre les différents segments de la vie sociale. La religion n’est plus que l’un d’entre eux et non celui qui donnait sens à tous. Elle se manifeste dans l’émergence d’aspirations, d’attitudes et de comportements nouveaux.

Dans beaucoup de pays de culture catholique la logique fut celle de la laïcisation. La religion s’est trouvée reléguée dans la sphère privée.

En pays protestant, l’émancipation de la religion s’est opérée selon une logique de sécularisation, moins conflictuelle. Dans ce cadre, les activités publiques exercées par des groupes religieux sont reconnues juridiquement, y compris leur contribution à l’éducation citoyenne (par des cours de religion dans les écoles publiques, par exemple).

La construction européenne favorise également la diffusion du principe de la dissociation croissante de la confession religieuse du domaine public et son intégration croissante dans la sphère privée.

Et la Convention Européenne des Droits de l’Homme de novembre 1950 (article 9) a consacré les principes de tolérance et de liberté religieuse.

b.    Sécularisme dans le reste du monde

Dans certaines sociétés de culture musulmane contemporaine, la séparation entre le processus de sécularisation et celui de laïcisation est mieux affirmée, et cela pour deux raisons.

La première est que le combat pour la modernité fut essentiellement un combat contre la domination coloniale et non contre un ennemi intérieur (le clergé catholique en France par exemple).

L’aspiration à l’émancipation du joug colonial imposait la nécessité de maintenir des contradictions provoquées par le processus de modernisation sociale. La religion en sortit à la fois renforcée et rénovée par l’addition d’une dimension identitaire.

La seconde est que l’appel aux réformes et à la modernisation est venu, souvent, des élites religieuses, qui sont les alliées privilégiées des acteurs politiques majeurs. Ces derniers comptent sur elles non seulement pour neutraliser les courants conservateurs religieux (sous le masque du réformisme souvent et contre les confréries), mais également pour ses politiques. Les relations entre Léopold Sédar Senghor, ses compagnons et les différentes personnalités religieuses dans les périodes pré et post indépendance s’inscrivent dans ce contexte.

On peut parler d’un « islam républicain » en écoutant cette vidéo témoignage avec cet interview à la télévision française de Serigne Fallou Mbacké sur ses rapports avec le président Senghor.

La description que donne Serigne Fallou Mbacké de ces relations, correspond exactement à ce que l’on désigne sous le concept de sécularisme. La religion ne doit pas s’occuper de politique et la politique ne doit pas s’occuper de religion.

Dans le cas de la fin de l’empire ottoman et de la proclamation de la République turque, Jean François Bayart, politologue (in Islam républicain. Fayard) montre que l’islam est le « fil caché » qui relie les deux systèmes. Contrairement à l’idée reçue selon laquelle Mustafa Kemal Atatürk a cherché à dépecer les institutions de leur manteau islamique, les « Jeunes Ottomans » se sont en fait inscrits dans une longue durée où l’islam a servi de fondement – certes pas le seul – pour bâtir la République turque. Les musulmans ont fini par endosser la République et les sécularistes se sont faits à son visage islamique

On le voit donc, l’histoire mondiale est traversée par ces deux processus, le sécularisme et la laïcité qui indiquent deux conceptions du rapport entre le religieux et le politique.

En Occident, le processus de séparation entre les deux sphères s’inscrit sur la longue durée, sur les autres continents le phénomène est moins visible et prend d’autres formes qui épousent l’histoire sociale de chaque pays.

En Inde par exemple où le sécularisme s’est le mieux épanoui, toutes les religions sont présentes dans la sphère publique. Le résultat est le même qu’en Occident dans la mesure où les croyances se valaient toutes du point de vue de l’Etat indien, encore récemment jusqu’à l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite hindoue avec le BJP de Narendra Modi. 

Le sécularisme indien s’inscrivait dans une longue tradition de multiculturalisme et de tolérance religieuse qui commence avec l’empereur bouddhiste Ashoka, qui a régné au IIIe siècle avant notre ère.

Mais ce passé seul, ne suffit pas pour maintenir cette tradition de tolérance, car sans les hommes comme Gandhi et Nehru pour le traduire en termes politiques et institutionnels, il n’y aurait pas de sécularisme à l’indienne aujourd’hui. Gandhi se battait pour la reconnaissance du religieux sur un mode collectif dans l’Inde nouvelle alors que, pour Nehru l’appartenance religieuse devait finir par passer au second plan, sinon s’effacer derrière des identités individuelles.

A l’exemple de l’Inde, le sécularisme a été un formidable facteur de cohésion sociale dans beaucoup d’Etats, de pays de culture musulmane dans le monde. Il a permis de transcender les clivages confessionnels. On était citoyen d’abord, locuteur de telle ou telle langue, et puis éventuellement animiste, hindou, musulman, bouddhiste ou chrétien. Le sécularisme a permis sinon de gommer totalement, au moins d’amoindrir les différences liées à l’appartenance religieuse des citoyens.

3. La laïcité comme concept constitutionnel au Sénégal

Mary Teuw Niane expose un peu plus clairement, pour une fois, une opinion jusque-là dominante, y compris au début de notre Etat-nation, chez les « réformateurs musulmans » (critiques des rapports confréries et autorités publiques, souvent issus des mouvances wahabites) dans les années pré et post indépendance.

Cette conception repose sur le refus de la séparation de la religion et de l’Etat ou plutôt de sa neutralité face aux confréries et au clergé catholique et prône la contribution des religions à l’éducation des enfants (enseignement public des religions et financements des écoles coraniques). C’est ce que propose Mary Teuw Niang dans cette critique de la laïcité au Sénégal : « L’inscription du principe de la laïcité dans la Constitution de notre pays est … surtout le moyen invisible de couper le cordon ombilical des religions avec notre société. Ceci malgré le fait que la religion joue un rôle fondamental dans la formation de notre jeunesse et la construction de sa personnalité. »

Au-delà de l’éducation, on comprend que ce qui est en jeu c’est la question des sources (religieuses ou profanes) de notre Droit et de la Constitution, comme Loi Suprême.

Dans sa comparaison avec les pays européens il cite : « sur les vingt-sept (27) pays de l’Union Européenne (UE), la France est le seul pays qui a inscrit le principe de la laïcité dans sa constitution. Le principe de la séparation des Églises et de l’État n’est inscrit que dans la constitution de huit (8) pays au niveau de l’Union Européenne : Hongrie, Lettonie, Portugal, Tchéquie, Slovaquie, Slovénie, Suède et France. »

Mary Teuw montre une incompréhension de l’historicité des rapports entre autorités ecclésiastiques et Etats dans les exemples européens cités. La tradition gallicane de certains Etats européens a toujours reposé sur l’ambition de garder la haute main sur les églises, avec une volonté farouche de les maintenir à l’écart du pouvoir du Pape. Cette tradition qui a commencé en France et a abouti à la séparation par la loi de 1905, a concerné toute l’Europe. En Grande Bretagne, ce processus, après la rupture de l’église catholique d’Angleterre avec Rome consacre l’église anglicane sous l’autorité de la royauté.  

Une autre tradition européenne est incarnée par les Etats du Nord de l’Europe, scandinaves et anglosaxons protestants pour qui les principes de laïcité et de séparation de l’Eglise et de l’Etat sont constitutifs du fonctionnement de l’Etat. Car le protestantisme est avant tout un système de conduite autonome de la personne. Dieu et le monde sont dans des galaxies séparées et entre les deux, le fidèle organise lui-même une relation de compromis. C’est ne rien comprendre à l’éthique protestante pour reprendre l’expression de Max Weber, que d’assimiler ces situations léguées par l’histoire de chacune de ces nations.

Les bâtisseurs de la République, de Senghor à Mamadou Dia tous profondément croyants, au moment de poser les fondements d’un Etat moderne, n’ont pas regardé du côté des Etats dont l’inspiration constitutionnelle était les textes sacrés comme certaines républiques ou monarchies islamiques en Afrique et au Moyen Orient, mais plutôt des Etats séculiers modernes en Europe, en Asie et en Amérique.

L’histoire leur a donné raison au regard de l’évolution de ces Etats durant les périodes pré et post indépendance par rapport à ceux qui n’ont pas opté très clairement pour une séparation entre la religion et la gestion des affaires publiques. Les guerres civiles, les conflits de nationalité, les poussées des hordes de fanatiques djihadistes actuelles témoignent du danger de l’ambigüité ou de l’absence de choix clairs sur le modèle de l’Etat.

J’ai toujours pensé que la laïcité de l’Etat au Sénégal, constituait un impensé chez les pères fondateurs de notre République.

Ce parti pris, que je soupçonne, délibéré de leur part, résulte pour moi, de l’appréhension de l’ampleur du combat pour la dissolution du système colonial raciste et de l’indigénat. Et par ailleurs, du temps qu’il leur fallait pour construire et mettre en œuvre les concepts de citoyenneté sénégalaise et africaine

Il n’est que de lire les débats qui, à partir de 1948, traversent les rangs des bâtisseurs de l’Etat-nation à travers les journaux « Condition Humaine » et « l’Unité » ensuite organe du BDS et du BPS sur la fin de l’empire colonial français et l’AOF pour le mesurer. 

Comment rompre avec cet oxymore du projet colonial de la constitution française de 1958 d’assimilation/égalité ?

Avec le recul historique on peut se représenter ces hommes et femmes d’Etat, face à cette question existentielle de fonder un Etat moderne, sur un territoire dont l’Etat français depuis deux siècles s’est évertué à éradiquer toutes les représentations institutionnelles précoloniales.

Mais les formations sociales sur le territoire du nouvel Etat gardent néanmoins la mémoire et les traditions de système d’inégalité et de domination et de système d’ordre, pour reprendre les concepts de A. Bara Diop dans son anthropologie de la société wolof.  

Comment assurer l’unité politique des diverses formations sociales et populations vivant sur ce territoire par un Etat dont les structures intrinsèques résultent d’un héritage de domination de deux siècles et par exemple quel rôle pour les autorités coutumières, chefs de canton, chefs de village, cadis ?

Le projet politique que portent ces bâtisseurs et fondateurs (de Blaise Diagne à Galandou Diouf, en passant par Lamine Guèye, Mamadou Dia, et tous leurs compagnons militants, syndicalistes), depuis toujours est de construire un Etat républicain pour fonder une nation de citoyens sénégalais.

Mary Teuw Niane dans son post polémique dit : « Dans nos tropiques africains francophones, la laïcité est la plus grande arnaque politique, sociale et culturelle que les pères fondateurs de notre constitution nous ont léguée. »

C’est faire injure à ces pères fondateurs qui auront arpenté, visité chaque ville, village, canton du Sénégal, discuté avec les autorités coutumières, confrériques de ne pas avoir réfléchi sur ce qui devait définir les citoyens de ce pays. Et surtout de ne pas avoir une idée précise sur la nature de la nation qu’ils avaient l’ambition de construire, malgré des appartenances religieuses, confrériques, linguistiques différentes, des modes de vie, d’habiter, des systèmes fonciers et de modes de production extrêmement variés. 

Je relisais récemment la belle biographie d’Ibrahima Seydou Ndaw, parue chez l’harmatan en 2013, et l’autobiographie de Assane Seck « Sénégal, émergence d’une démocratie moderne » pour soupeser le degré de tension intellectuelle, les débats et le combat politique dans lesquels ils étaient tous plongés à cette époque. 

Le concept de laïcité pour définir la nature de la république tranche, pour moi, le clivage interne au sein des fondateurs à propos de la notion de liberté comme principe fondateur de ce qu’est un citoyen sénégalais. La mention « démocratique et sociale » résulte d’un compromis entre les différents courants.

Senghor et ses compagnons distinguaient parfaitement ce que les historiens actuels nomment les sécularismes, pour distinguer entre la laïcité à la française et les autres formes, mais qui reposent tous sur la liberté de conscience, la citoyenneté sans fondement religieux et la séparation de l’État et de la religion.

4. Application du principe laïque au Sénégal ou le sécularisme sénégalais

La constitution de 2001 révisée en 2016, mentionne dans son préambule: la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, les accords et règlements des nations unies et de l’union africaine (Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes du 18 décembre 1979, la Convention relative aux Droits de l’Enfant du 20 novembre 1989 et la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples du 27 juin 1981. ) 

L’article 1, alinéa premier de la constitution de la République proclame : « la République du Sénégal est laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion. Elle respecte toutes les croyances.

Dans un article, paru dans Ethiopiques n°22-1980, le recteur Seydou Madani Sy dit de la constitution de 1963 révisée (dernière révision lors de la rédaction de cette analyse le 24 avril 1981) : « l’idéologie laïque qui sous-tend la Constitution du Sénégal n’est pas une idéologie de combat, puisqu’il n’y a pas, comme en France à l’origine par exemple, une hostilité aux Eglises et à l’Islam. La laïcité mise en œuvre se rattache à l’idéologie laïque qui déclare l’incompétence de l’Etat à l’égard de ce qui excède le gouvernement du temporel, impliquant le refus de proposer, ou même de cautionner une explication de l’homme et du monde. Mais c’est un Etat qui, à l’égard de toutes les options, professe a priori la même attitude d’impartialité. »

On peut définir la laïcité sénégalaise comme une laïcité compréhensive.

Mieux, contrairement à ce que laisse entendre Mary Teuw Niane, dans la nouvelle constitution de 2001, révisée par référendum en mars 2016, plusieurs articles s’inscrivent dans cette logique de laïcité positive et compréhensive à rebours de la conception française.

  • L’article 4 qui traite des partis politiques, interdit l’identification à une race, à une ethnie, à un sexe, à une religion, à une secte, à une langue ou à une partie du territoire.
  • L’Article 5 interdit tout acte de discrimination raciale, ethnique ou religieuse.
  • L’article 8 proclame que la république du Sénégal garantit à tous les citoyens les libertés individuelles fondamentales… dont les libertés religieuses.
  • Les articles 20 et 22 qui consacrent le droit à l’éducation de tous les enfants et le devoir des parents, demandent que l’Etat veille à l’exercice de ce droit. Et plus encore, et à croire que Mary Teuw tout ministre qu’il fut, n’a pas lu la Constitution, l’Etat sénégalais reconnaît la contribution des institutions religieuses à l’éducation des enfants. Les institutions et les communautés religieuses ou non religieuses sont également reconnues comme moyens d’éducation.
  • Et enfin l’article 24 consacre la place de la religion dans l’espace public comme jamais : « la liberté de conscience, les libertés et les pratiques religieuses ou cultuelles, la profession d’éducateur religieux sont garanties à tous, sous réserve de l’ordre public. Les institutions et les communautés religieuses ont le droit de se développer sans entrave. Elles sont dégagées de la tutelle de l’Etat. Elles règlent et administrent leurs affaires d’une manière autonome. »

Je partage cet avis du recteur Thierno Madany Sy dans son analyse de l’application du concept de laïcité au Sénégal : « la neutralité religieuse de l’Etat s’interprète comme donnant libre cours au développement sans entraves des Institutions et Communautés religieuses. » 

En effet, à l’analyse, on distingue très clairement les différences majeures entre la laïcité à la française et la version du principe laïque choisie dans notre pays. Non seulement l’Etat sénégalais n’ignore pas les religions, mais entretient des relations normales et très étroites avec les Confréries musulmanes et le clergé catholique, y compris à travers le programme d’investissements annuel dans les cités religieuses et inscrits dans la programmation budgétaire annuelle de l’Etat.

Et en fonctionnement, les subventions aux écoles privées catholiques constituent une part importante des financements de l’éducation. Les écoles privées catholiques, comme les autres non confessionnelles, sont considérées comme membres à part entière du service public de l’Education.

Il faudrait être sourd et aveugle, pour ne pas saisir la part extrêmement importante que prennent, dans les programmes des radios et télévisions, les cérémonies et autres manifestations religieuses.

Et lors des différentes commémorations religieuses (confrériques et catholique) l’Etat en grand apparat et de façon solennelle est présent.

En conclusion, il me semble que la question qui est au cœur des agitations et des polémiques sur la laïcité au Sénégal, est celle de la nature de notre Etat-nation, celle que ses bâtisseurs nous ont léguée. C’est celle de notre récit national.  Quelle narration notre nation renvoie-t-elle aux citoyens que nous sommes ? Quelles sont ses valeurs essentielles à transmettre ?

En 1959, Senghor (Nation et voie africaine du socialisme. Présence africaine) en donnait un aperçu : « la Patrie, c’est le pays sérère, le pays malinké, le pays sonrhaï, le mossi, le baoulé, le fon. […] Loin de renier les réalités de la patrie, la Nation s’y appuiera, plus précisément elle s’appuiera sur leurs vertus, leur caractère de réalités, partant sur leur force émotionnelle. […] Au terme de sa réalisation, la Nation fait, de provinces différentes, un ensemble harmonieux. […]  Nous prendrons garde à ne pas tomber dans l’une des tentations de l’État-nation, qui est l’uniformisation des personnes à travers les patries »

Je pense que la laïcité ou le sécularisme de la République permet le déploiement d’une histoire nationale pleinement africaine qui s’appuie sur la diversité de notre peuple, de ses terroirs, de ses langues et des valeurs qu’elles véhiculent. En somme, accepter de continuer à s’enrichir de « l’humanisme soudanais » pour reprendre l’expression de l’historien Sékéné Mody Sissokho.

Charlie or not Charlie.

OUI IL FALLAIT MARCHER LE 11 MARS A PARIS

Publié le 19 janvier 2015 (Enquête plus quotidien)

Le président Macky SALL a eu raison de marcher le dimanche 11 mars à Paris. 

Comme nous tous, des centaines, ou peut-être des milliers de sénégalais d’origine à travers toute la France.

A Paris, nous avons marché de la colonne de la République à Nation. 

Le président Macky ne l’a certainement pas vu, mais sur la colonne avec la statue représentant Marianne, un jeune homme d’origine sénégalaise agitait un drapeau aux couleurs de notre pays. 

Quelle fierté, pour ceux qui, comme moi débouchant de la rue Turbigo à l’angle de la rue du Temple voyait ce drapeau à bandes verte, or, rouge, verticales et égales et une étoile verte à cinq branches sur la bande jaune, parmi les dizaines d’autres portés par des jeunes de toutes origines et de toutes les couleurs.

Il s’est passé ce jour-là, ce qui se passe quand des milliers, des millions de personnes se mettent en marche sur une simple idée, défendre l’essentiel, au fond notre qualité de citoyen, consubstantiel à notre LIBERTE absolue de penser et d’agir.

Pour ceux qui connaissent Paris, ce monument inauguré le 14 juillet 1883 est entouré de trois statues en pierre chacune représentant l’allégorie de la devise française de la Liberté, Egalité, Fraternité.

Toutes les manifestations républicaines dans Paris, finissent ou partent de cette place ou de la Bastille.

Oui, nous y étions et nous étions nombreux, les Sénégalais de France, ou d’ailleurs en Europe fiers de défiler et de manifester pour cette cause qui dépasse nos propres personnes, celle de la LIBERTE.

Le 11 janvier dans les rues de Paris, de quoi était-il question ?

Pas une seule banderole, contre l’Islam, le christianisme, le judaïsme. 

Pas une banderole xénophobe ou d’extrême droite, réclamant le départ des musulmans de France. Mais des banderoles, disant simplement : je suis Charlie, je suis musulman, je suis juif, je suis noir…  Il n’était pas question de foi, de religion, mais de LIBERTE.

Et notre foi, de toute façon plus forte qu’un dessin, une caricature. La foi de ceux qui sont offusqués par une caricature doit d’ailleurs être bien fragile, pour se sentir ébranlée par ces quelques pages éphémères.

La laïcité nous permet de vivre notre foi et notre religion, l’Islam en l’occurrence ici dans ce pays qui dans son histoire, a pendu des prêtres, démoli des églises et interdit la condamnation du blasphème en 1830 (sauf en Alsace-Moselle en vigueur jusqu’au 22 décembre 2015= Concordat) alors que jusqu’à la Révolution française en 1789 elle était passible de condamnation à mort. 

Nous n’avons à demander à personne le droit à vivre notre foi et notre religion et de comment la vivre, mais n’avons pas non le droit d’imposer à qui que ce soit, notre façon de vivre notre foi et notre religion.

C’est de cela dont il était question dans cette manifestation.

Et nous savons que la bande d’assassins qui a sévi à Charlie Hebdo et dans l’épicerie casher, sont les mêmes que Boko Haram, Mujao, Aqmi qui fracassent les tombeaux des saints à Tombouctou, en Irak, au Pakistan et massacrent les populations musulmanes sous prétexte que c’est eux qui doivent décider de ce qui est licite ou illicite au nom d’une vision étriquée, ignare et intolérante de l’Islam.

J’ai été enchanté de lire l’article de Fadel Dia dans Sud online du 13 janvier. « Ce qu’on a tué chez Charlie et la Porte de Vincennes, dépasse l’existence de quelques individus, ce sont la liberté, le droit à l’expression, les fondements mêmes d’une société respectueuse de la nature humaine ».

Wolé Soyinka, a écrit en septembre 2013, après les attentats horribles qui ont ensanglanté Nairobi :

« Nous avons remporté une victoire en abolissant l’apartheid, afin que la race ne soit plus un critère de citoyenneté. Réaffirmons notre refus, sur notre continent, que la religion soit établie comme une seconde nature humaine, indiquée sur nos documents d’identité, et de laquelle dépendrait notre nationalité, mais également le droit même d’exister sur la planète.  J’ai envie de croire que nous étions tous présents à Nairobi. Nous nous sommes rangés dans le camp de l’humanité, face à ceux qui s’opposent à elle. »

Le président Macky SALL a eu mille fois raisons d’être à Paris ce jour-là, où l’histoire s’écrivait dans la rue, avec le refus de millions d’hommes et de femmes de se plier aux diktats de ces assassins, qui sévissent au Mali, au Nord du Nigéria, à Mogadiscio, au Pakistan.

Cette histoire est mondiale, comme l’Histoire est celle de notre humanité commune. 

Qui peut croire que ce qui se déroule tous les jours, en Syrie, en Irak, au Nigéria ne sera pas à nos portes demain.

Ce n’est pas la faiblesse coupable, pour ne pas dire complice de certains qui les en empêchera.

L’armée la plus forte du continent est en déroute tous les jours devant ces hordes de sanguinaires armées jusqu’aux dents par les wahhabites qui les ont nourris et devant lesquels nous avons tous été aveugles.

Abdoul Aziz Kébé dans une interview à Sud en octobre 2012 déclarait « Le Sénégal ne peut pas être un îlot non influencé par ce qui se passe aux alentours. Des associations islamistes sont déjà là et se nourrissent de cette sève intégriste. Elles ont des écoles et même, apprend-on, une faculté, dans certains quartiers de la capitale et de la banlieue. »  

Qui ne le voit à la Médina, de la rue 1 à la rue 37, à Guédiawaye ou Parcelles, le danger intégriste s’affiche et nous défie dans ce que ce merveilleux pays a de plus important au monde : le sentiment de liberté des Sénégalais.

Ne nous y trompons pas, si les troupes françaises puis celles de la CDEAO ensuite n’étaient pas intervenues au Mali, le MUJAO, AQMI et leurs affidés étaient sur Kayes et fondaient sur le Sénégal oriental en quelques semaines.

Je ne peux imaginer l’espèce de clown sanguinaire démoniaque d’Abubakar Shekau chef de Boko

Haram se proclamer émir du Sahel avec Dakar comme capitale. Un cauchemar pour tous

La dérive d’un homme

Je viens de tomber sur l’article de Malick Ndiaye, publié sur le site de Xalima.com le 13 janvier au nom du « cercle des intellectuels-CIIS ».

C’est un torchon indigeste, insipide, indigeste, baveux de prétention et surtout dangereusement mal intentionné.

Et je ne peux m’empêcher d’être triste devant la dérive d’un homme que j’ai connu jadis.

Que nous dit ce « sociologue professeur à l’université de Dakar » ?

Que le Sénégal « soit une république de croyants » en convoquant à l’appui de sa diatribe contre le président Macky SALL, tous nos saints hommes et personne n’y manque, sauf peut-être Ndiadiane Ndiaye et Alboury Ndiaye. 

Je me suis pincé pour croire ce que je lisais, connaissant de longue date, cet ex-compagnon de route de la gauche internationaliste française.

Substituer croyants et citoyens est un contresens théorique et politique grave, à moins que cela ne soit à dessein. 

Une république de croyants est une théocratie : l’Iran en est un exemple contemporain ou le Vatican (le pouvoir du Pape repose sur son infaillibilité supposée). 

L’idéal du califat auquel se réfèrent les jihadistes pourrait aussi constituer ce modèle.

Une république de croyants n’est pas une république, parce que la source de la loi est d’ordre divin et donc transcendantal et en Iran la source d’inspiration est le guide (un Marja c’est-à-dire « source d’imitation » ou « source de tradition »).

En République la source de la loi ce sont les citoyens libres. 

La foi de chacun étant d’ordre privé et l’espace public est neutre pour que toutes les croyances puissent cohabiter.  

Le président Abdou DIOUF, dans ses mémoires, parle du travail d’orfèvre, que les compagnons de Senghor et lui-même, ont fait dans la période postindépendance pour maintenir le caractère laïc de l’Etat.

Si les mots ont un sens et Malick Ndiaye un « sociologue », que ne nous dit-il pas ?

Après avoir conseillé le président Diouf, le président Wade, le président Sall et après des pérégrinations à Bouaké, auprès des ex-Forces Nouvelles, ensuite auprès du président Gbagbo il y a quelques années, voilà notre « animateur du cercle des intellectuels » prêt à enfourcher d’autres combats. 

Les dérives de notre « Le sociologue » de l’UCAD, animateur du « cercle des intellectuels » Malick Ndiaye n’auraient pas de bornes.

Mais il est vrai que dans ce salmigondis indigeste, il dit qu’il est à la fois contre « l’intégrisme démocratique euro-américain judéo chrétien (sic et resic) » et contre le « l’intégrisme monocratique d’inspiration islamique ». J’avoue qu’à cette étape de ma lecture j’étais un peu perdu. Et je me suis dit comme sans doute d’autres qui l’ont lu : « qi wër na ! »

La suite de cet article est encore plus grave. 

Il dit que nous avons (et en majuscule svp) manifesté « pour la Défense des Droits à la Caricature du Sceau des Prophètes et à la Protection des Libertés des Caricaturistes du Prophète Mahomet (PSL) ».

Que cherche cet homme ? 

Vouer aux gémonies et à une prochaine fatwa des ignares sanguinaires le président et ceux qui ont défilé le 11 mars ?

Les faire condamner à la flagellation publique de 100 coups de fouets ?

Et pour finir notre « sociologue » ressuscite le Protocole des Sages de Sion et éructe sur les lobbies judéo-maçonniques et Sionistes qui combattent les religions abrahamiques ? 

Sans doute là excluent-ils les juifs de ce groupe. 

Ses vieux compagnons de route de la gauche internationaliste, formés aux mêmes références idéologiques, et qu’il fréquente peut-être encore doivent aussi se pincer.

Ingratitude d’un homme, arrivé à un certain âge, pour oublier tous ceux avec qui il a cheminé dans ces longues années de militantisme pour la liberté et la fraternité des peuples sous le froid et la grisaille des hivers parisiens.

A tant de perfidie et tant d’ingratitude !

Le protocole des sages de Sion est un faux grossier qui se présente comme un plan de conquête du monde établi par les juifs et les francs-maçons fabriqué par les services secrets du Tsar de Russie au début du 20ème siècle contre les militants républicains qui luttaient pour l’abolition du tsarisme. 

C’est devenu depuis longtemps la bible des « complotistes » de tous poils. 

Ceux qui pensent que le 11 septembre n’a jamais eu lieu. 

Ceux qui pensent qu’un centre mondial « d’Illuminati » et de francs-maçons est à l’œuvre partout.

Notre « sociologue de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar » devrait arrêter de lire DA VINCI CODE de Dan Brown 

Pathétique et lamentable référence. 

Pour ma part, je choisis la LIBERTE de ne pas lire Charlie HEBDO quand il caricature le prophète Mahomet (PSL), d’inviter ceux que je connais et qui respectent ma foi à en faire de même. 

Parce que j’ai la LIBERTE de le faire.

Je choisis la LIBERTE contre BOKO HARAM, AQMI et DAESH qui massacrent des musulmans qui célèbrent l’Achoura en Irak chaque année, contre les talibans pakistanais qui massacrent des musulmans soufis parce qu’ils honorent leurs saints comme nous au Sénégal.

Soyons en sûrs, si nous ne faisons rien contre ces wahhabites, qui sont déjà chez nous, fanatiques sanguinaires et leurs épigones demain ils seront suffisamment forts pour demander l’interdiction du Magal de Touba et du Gamou de Tivaouane. Ils considèrent ces manifestations de foi comme hérétiques. 

Monsieur le président vous avez eu raison de manifester le 11 janvier à Paris. Et nous étions 4 millions avec vous, noirs et blancs, jeunes et vieux, femmes et hommes et de toutes les religions.

De quel côté êtes-vous « M. le sociologue de l’Université Cheikh Anta DIOP de Dakar » animateur du « cercle des intellectuels ».

 Babacar FALL

Adresse aux républicains. Mais c’est une révolte ? Non Sire, une révolution.

Publié le 11 février 2012 (Sud Quotidien)

A regarder l’opposition sénégalaise aujourd’hui, on oscille entre l’abattement et la révolte. La France avait la droite la plus bête du monde et le Sénégal vient de gagner un nouveau titre, à défaut de la coupe d’Afrique, celui d’avoir l’opposition la plus bête du monde.

Tous les candidats sortants dans le monde entier souhaiteraient avoir une telle opposition. Après s’être étripés sur le candidat unique, jusqu’au ridicule, elle vient de décider – on se pince pour y croire – de suspendre sa campagne pour battre Wade.

Les raisons ? Les Sénégalais attendront la fumée blanche à la fin du conclave pour les connaître.

Gageons, que les accusations de traitrise vont commencer.

Et ces messieurs-dames, après avoir créé les conditions de la réélection de Wade et tué le formidable sursaut démocratique du 23 juin 2011, nous diront qu’ils ne reconnaissent pas les résultats de ces élections présidentielles.

Il est temps d’ouvrir un nouveau cycle.

Nous vivons une période historique particulière où nombre de schémas de pensée anciens n’en finissent pas de se décomposer sans qu’apparaisse clairement le signe d’un renouveau.

Dans les sociétés développées européennes, l’ampleur de la crise de la dette et du chômage s’accompagne d’une crise de la politique.

Au Sénégal, la recherche de solutions dans l’urgence actuelle de la campagne électorale pour battre Wade, pour nécessaire qu’elle puisse paraître, ne tient pas lieu d’une réflexion qui, à partir de la pleine mesure de l’ampleur de la crise économique et sociale, propose des orientations pour refonder l’engagement démocratique des citoyens.  

Le délabrement de l’Etat, « la politique du ventre », l’absence de règles collectives protectrices des plus faibles, maintient le sous développement et la pauvreté extrême et annihile quasiment toute volonté collective et individuelle de développement.

Des questions comme celle de la mondialisation, de l’intégration africaine, du modèle de développement, celles du travail et de l’emploi, de la santé, de l’éducation engagent une conception de l’homme et du vivre-ensemble qu’une génération entière partage.

A écouter, lire, débattre avec la génération qui cherche sa place, qui ne voit qu’elle désire ardemment travailler sur le politique en dehors des positions partisanes.

La situation actuelle au Sénégal est, sous de nombreux aspects, inquiétante.

Sous le bruit, les fureurs, les grondements et manifestations, le chaos apparent ou caché, il ne faut pas se tromper, c’est bien un vieux monde qui s’écroule sous nos yeux au Sénégal.

Un autre peine à émerger et se frayer un chemin dans notre cher pays.

La candidature de Youssou NDOUR raillée, par la presse, est un de ces symptômes d’un système vieillissant, comme celle de Coluche en 1981, candidat putatif aux présidentielles françaises de 1981, avec des sondages qui le plaçaient très haut dès l’annonce de sa candidature (16% des intentions de vote), avant qu’il ne renonce.

Cette candidature illustre, mutatis mutandis le même contexte : un vieux système, une vieille élite, un vieux président.

Elle a entraîné l’entrée en politique d’une masse de personnes, indécises, entre la jeunesse urbaine diplômée, attentive aux mots d’ordre de M23, et celle des quartiers de la médina, de Parcelles, Pikine, Guédiawaye.

Elle procède de la même dynamique que celle qui s’est mise en branle depuis longtemps pour turbuler le système corrompu en élargissant à chaque fois l’espace démocratique.

Les conséquences sur le tissu socioéconomique de quarante de règne du parti socialiste sur le système politique sénégalais, ne se sont pas effacées en un jour.

Les 12 ans au pouvoir de Wade ont accéléré sa putréfaction.

C’est le même système qui a continué sous un autre nom, avec un autre clan de prédateurs, en moins fins dans la politique du ventre et dans la gestion patrimoniale de l’Etat.

Quand les élites technocratiques socialistes habillaient sous un vernis de la plus parfaite technocratie bureaucratique la prévarication des maigres richesses de l’économie sénégalaise, le clan wadiste, mal formé, avec une absence totale de « culture administrative » et de compétence utilise la méthode de l’informel.

L’inculture technocratique, l’absence de scrupules, l’informalisation de la prédation se sont substituées à la culture technocratique du vol et du détournement des deniers publics.

L’alternance s’est jouée des espoirs placés en elle par la faute d’un clan cupide.

Et dans cette décennie, se sont aussi révélées les ressources morales, d’un peuple qui s’est emparé des principes de la démocratie, pour élargir son espace de liberté et se préparer à l’après Wade.

Tout le monde le sent, c’est la fin d’une génération d’élite politique et administrative, celle des compagnons des combats pré et post indépendance, qui entraîne avec elle, celle des années 68 et 70. Evidemment cela se fait dans le tintamarre du débat et des invectives.

La nouvelle génération qui tente de s’engouffrer dans ce nouvel espace revendique sa place dans la République.

Il est donc du devoir des républicains de l’aider à la trouver au travers des valeurs et des principes universels qui sont ceux de la République.

Les Sénégalais aspirent à un Etat de droit

Au travers de la proclamation de la primauté de l’Etat de droit, où s’applique effectivement un droit et non pas l’arbitraire d’un dirigeant ou l’anarchie.

En réponse à la question, l’Etat de droit au Sénégal est-il plus une réalité qu’une fiction ? Les citoyens répondent assurément que c’est une fiction.

Un Etat de droit, où l’Etat se doit de veiller à ce que chaque personne physique ou morale soit à égalité devant la loi, qu’il s’agisse de défendre ou faire valoir ses droits, de contester une décision.
Un Etat qui respecte le principe de séparation des pouvoirs (et d’équilibre entre eux) : contrôle direct de l’exécutif par le législatif ; liberté de la presse ; Justice indépendante, contradictoire, impartiale, effective, qui instruit, prononce et fait exécuter ses décisions dans des délais raisonnables.
C’est l’ensemble de ces critères qui doivent être réunis pour que l’on puisse parler d’Etat de droit.

La majorité des citoyens sénégalais ordinaires, le disent tous les jours. L’absence d’Etat de droit nuit tout particulièrement aux classes populaires urbaines et rurales qui ne jouissent ni des passe-droits des élites, d’en haut, ni des passe-droits de ceux qui à la marge s’arrangent avec les règles collectives.

La Justice doit constituer l’un des piliers du pacte citoyen et républicain de notre pays. Son impartialité, sa capacité à assurer un équilibre entre prévention, sanction, réparation et protection des libertés individuelles doit être au cœur du bon fonctionnement de la société.

Elle doit être un rempart qui protège les personnes, garantit les règles du vivre ensemble, les droits et donc les devoirs de chacun, les conditions d’une société apaisée.

L’égalité devant la Loi doit être au cœur même de l’idée de justice et ce principe d’égalité est l’un des fondements de notre société démocratique.

L’indépendance de la justice en est la condition impérative.

La justice est un service public dont l’importance, aux yeux de nos concitoyens, n’est pas toujours mesurée alors que le droit envahit désormais tous les interstices de la vie sociale.

Instaurer l’Etat de droit et donner aux sénégalais des raisons d’y croire, il y va de la santé démocratique de notre pays.

Au travers de la proclamation de l’indivisibilité de la République et l’unité du peuple sénégalais.

Le principe de l‘indivisibilité de la République, signifie, qu’elle connaît mais ne reconnaît pas tout ce qui tend à morceler, séparer, démanteler la communauté civique nationale – religion, confréries, croyances …

Elle respecte les traditions et les cultures mais elle les soumet à la loi commune.

La République doit continuer le travail de construction de notre nation, composée de citoyens non de communautés. Les individus ont leurs particularités, mais pas les citoyens.

La République indivisible est donc unitaire.
Nous avons hérité de la colonisation française et de notre propre histoire nationale, une culture centraliste et non fédéraliste.
L’unité républicaine n’exclut pas, bien sûr, la diversité. L’unité de notre nation s’est faite et se fait encore dans la confrontation, l’alliance ou parfois la discorde de ses composantes. Elle s’est réalisée à travers l’intégration des citoyens, intégration rendue précisément possible par cette indivisibilité qui reconnaît la seule citoyenneté.

Les citoyens sénégalais aspirent à la neutralité de l’Etat

L’affirmation de la neutralité de l’Etat appelée ailleurs laïcité, face à toutes les communautés culturelles et religieuses doit aussi accompagner l’émergence de cette nouvelle génération.  

La laïcité peut être définie simplement par la séparation de l’État et de la religion (toutes croyances confondues). C’est un principe qui garantit la liberté de conscience et de culte, qui assure l’égalité de droits entre toutes les croyances.

La mise en œuvre de ce principe poserait moins de problèmes que son inscription dans le marbre au Sénégal. La meilleure définition est celle que propose le Dr Mahmoud Hazab, conseiller auprès du Cheikh Ahmed al-Tayeb, imam d’al-Azhar, dans la charte de onze articles à l’élaboration de laquelle l’institut a participé qui dit, parlant de l’Etat qui devra être issu de la révolution. « Nous ne sommes ni un État religieux ni un État militaire. Nous souhaitons que la Constitution se fonde sur la citoyenneté. »

Des pratiques laïques sont observables dans notre pays depuis des lustres, pratiques religieuses laissée à la discrétion de la personne, liberté d’affichage ostentatoire d’appartenance religieuse, les jeûneurs et non-jeûneurs de Ramadan se côtoient dans la même famille, des amis pratiquants et non pratiquants se souhaitent bonne fête le jour de l’Aïd, le mariage civil et le mariage religieux coexistent, le planning familial est entré dans les mœurs et fait moins débat, la monogamie se généralise dans la jeune génération urbaine instruite.

Son exercice est facilité tous les jours par l’existence, de croyances, d’appartenance religieuse ou confrérique différentes dans une même famille et entre ses différents membres.

Il revient à l’Etat d’en assurer le respect.

Plusieurs pays ont adopté la laïcité en tant que principe qui figure dans leurs constitutions, comme la France, l’Inde, la Turquie, le Japon, le Brésil ou les Etats-Unis.

Beaucoup d’entre eux financent l’exercice des cultes.

Il n’est pas inimaginable que notre pays se dote d’un budget des cultes. Cela aurait le mérite de s’accorder sur le principe de l’égalité de traitement de tous les cultes, toutes les confréries et de rendre complètement transparent les financements publics qui leur sont accordés.

Ils seraient inscrits chaque année dans la loi des finances par l’Assemblée nationale et exécutés sous son contrôle, comme tout le budget de la nation.

L’égalité, le progrès social, la fraternité et la solidarité sont des irremplaçables de la République. 

Une société plus juste est une société qui permet l’accès à l’égalité des chances à chacun de ses membres. S’il est des inégalités qui tiennent à la nature humaine, il en est, injustifiées, qui tiennent à la société.

La réduction de ces inégalités constitue une exigence aussi bien morale que politique.

Il faut refuser la persistance des inégalités entre les hommes et les femmes, celles s’appuyant sur une origine sociale ou ethnique.

Refuser les inégalités héritées.

Refuser l’idée d’inégalités dont on ne pourrait pas sortir.

Se battre pour que soit donnée à chacun la possibilité, quelle que soit son origine, sa situation, de s’insérer dans la vie sociale ou professionnelle, d’accéder aux biens collectifs – éducation, culture, emploi, santé, sécurité – et de pouvoir en tirer un profit comparable.

Vouloir l’égalité dans les opportunités offertes à chacun, d’utiliser au mieux sa capacité d’autonomie, ses talents et sa volonté.

La justice sociale, comme la cohésion sociale se bâtissent sur l’exigence de solidarité qui doit être conçue à la fois comme un tremplin pour ceux qui peuvent agir et prendre leur responsabilité, un filet de sécurité pour ceux qui connaissent l’échec et doivent se voir accorder une nouvelle chance, comme un bouclier enfin pour ceux qui n’ont pas ou plus les moyens d’agir et qui doivent recevoir de quoi leur permettre de vivre dignement. Elle doit empêcher la précarité et permettre la cohésion sociale de notre nation.

Pour s’exprimer dans le respect de la dignité de l’individu, la solidarité doit être ciblée, adaptée à chaque situation, et ne pas se transformer en assistanat par une distribution uniforme d’aides, qui découragent ceux qui travaillent, et tendent à maintenir ceux qui en bénéficient dans une situation de dépendance.

La solidarité doit s’exprimer à différents niveaux : solidarité entre les territoires sénégalais, dans les campagnes et au sein des villes ; solidarités familiales et entre les générations.

L’intervention de l’État est le pilier d’une politique solidaire. C’est sur cette base que les républicains doivent faire une place à la nouvelle génération dans l’espace public.

Dans notre pays, c’est l’Etat qui contribue à construire la nation sénégalaise, dans ses espaces et ses territoires. Il ne faut jamais perdre de vue ce paramètre essentiel pour les républicains. Toute politique qui décrédibilise son intervention sape les fondements de notre Etat-nation.

Alors le pire n’étant jamais sûr, je pense que lorsqu’un problème est clairement et judicieusement posé, on trouve toujours des hommes et des femmes capables de le résoudre.

Les hommes et les femmes candidats de l’opposition ne doivent plus avoir qu’une seule et unique, préoccupation, mobiliser, encore mobiliser les citoyens sénégalais pour battre Wade, sa clique et ses bandes et sa famille dans les urnes le 26 février. Plus rien ne doit les distraire. La jeunesse et le peuple sénégalais le valent.

Babacar FALL

Un pas en avant, deux pas en arrière!

Publié le 4 décembre 2012 (Sud Quotidien)

Au poker, quand un joueur a la meilleure main qui soit et perd sa mise, on parle de « BAD BEAT ». 

Ce joueur est un « FISH », c’est à dire un joueur débutant, inexpérimenté qui commet des erreurs grossières et visibles.

Après plus de 6 mois de fonctionnement, le gouvernement du Sénégal donne cette impression désagréable d’amateurisme, d’impréparation à la gestion de l’Etat, de pusillanimité, de pilotage à courte vue et quelque fois plus grave de reproduire ce que Wade a appris à beaucoup d’entre eux du temps de leur fameux compagnonnage.

En somme du Wade sans Wade.

Et pourtant nous avons tellement attendu ce changement !

12 ans d’un pouvoir qui a réduit à néant notre culture des règles de la bonne administration publique, de l’Etat de droit, réduite à néant au profit de coteries familiales et financières.

Nous en étions tous devenus des nostalgiques des pouvoirs de Senghor, de Diouf, qui malgré tous leurs défauts, que nous avons combattus à l’époque, avaient comme vertu principale : l’attachement au fonctionnement républicain des institutions publiques.

Le décès de Assane Seck nous fournit l’occasion de revenir sur la probité et le respect du bien public qu’avaient les premiers cadres de ce pays.
Voilà un homme, ministre pendant 10, ans qui a toujours vécu à FASS en face du Canal sans ostentation et enrichissement visible. Les ministres de Wade sont tous millionnaires quelques mois après leur désignation.

Autre temps, autres mœurs. Le pouvoir de Wade c’était le retour du refoulé du pouvoir ceddo. 

Si je devais donner un conseil à nos chercheurs et à nos élites ce serait de relire l’étude de Etienne Le Roy « Damel, ceddo et badolo face aux métamorphoses du pouvoir dans le royaume wolof du Cajor (Sénégal aux XVIIIe et XIXe siècles) » Paris, Politique africaine 1981.

Le Roy posait la question de savoir si Damel LAT Sucabé est l’ancêtre des tyrans de l’Afrique moderne ?

« Sa paranoïa au pouvoir, loin d’être un accident de l’histoire, effectue, une rupture politique radicale qui met les Wolofs sous la coupe d’un pouvoir autocratique et guerrier avec le règne de l’arbitraire, la répression, la méfiance, l’exil des opposants ». Le règne de Lat Sucabé, donne un statut politique à la violence.

Loin d’être une dictature, le pouvoir de Wade a institué la violence politique et physique en mode d’action. Il a érigé le fait du prince, l’oukase, le rapport de forces, la confrontation permanente, la dérive dans la gestion des finances publiques, et la prévarication comme mode gouvernement.

Je connais très peu de sénégalais qui regretteront ce pouvoir sénile, même ceux nombreux qui ont voté pour lui.

Ce serait banalement normal. Nous sommes en démocratie et Abdoulaye a recueilli 942.546 suffrages soient 34,82% des votants.

Mais alors pourquoi ne sommes –nous pas à l’aise actuellement avec ce gouvernement, et pourquoi ne pas le dire, avec Maky SALL.

Un vote honteux ? « Cacher ce que je ne saurais voir ».

Qu’est ce qui fait cet indéfinissable sentiment de malaise devant les actes que pose le gouvernement ou devant son inaction ?

Les Sénégalais courent consulter les augures (les Saltigués ou Selbé Ngom) pour savoir à quel moment l’avion va tomber sur l’université de Dakar (ou le palais de l’avenue Roume) 

Imaginer cette scène, qui a retenu le souffle de beaucoup d’étudiants en train de scruter le ciel pour voir l’avion qui allait tomber, renseigne sur l‘état de la société sénégalaise que Wade nous a laissé. Si même dans ce lieu supposé être celui du savoir et de l’enseignement des sciences, de toutes les sciences, l’irrationnel, la superstition, la bigoterie se sont installés, notre pays a encore un très long chemin à faire dans la voie du développement.  

Et pendant ce temps, tout le monde se demande où va ce gouvernement ?

Passons sur les nominations inappropriées, la taille du gouvernement, le retour encore timide du népotisme, les fonds secrets de la présidence reconstitués, un véhicule 4×4 pour chaque parlementaire, le retour du conseil économique et social.

Le plus important c’est le sentiment qui commence à s’installer chez les citoyens sénégalais du « tous les mêmes », pour ne pas dire « tous pourris ».

De Dakar, à Diourbel, Saint Louis, Thiès, Ziguinchor, dans les maisons, dans la rue, à la campagne, les propos sont encore plus durs, pour ne pas dire injurieux comme nous savons le faire quand nous sommes exaspérés dans ce pays.

Un programme électoral ne suffit pas à faire un programme de gouvernement. Il est nécessaire, mais pas suffisant.

La différence entre les deux, ce sont les contraintes économiques, fiscales, financières que l’on découvre une fois au pouvoir.

C’est le poids des engagements antérieurs sur la dette intérieure et extérieure.

Le tour de passe-passe sur la baisse des produits de première nécessité au début du mandat, se retourne contre le gouvernement aujourd’hui, parce que les Sénégalais le savent, qui vont au marché tous les jours, que les prix loin de baisser, ont même tendance pour certains à augmenter.

Les engagements du candidat Macky SALL sur la couverture maladie universelle, sont importants, mais pourquoi ce pouvoir ne confie pas cette question aux experts dont regorge ce pays, ici et dans sa diaspora pour étudier et mettre en place les meilleures conditions de sa mise en œuvre.

A jouer les apprentis sorciers, cette réforme peut mettre à genou tout notre système de santé déjà très fragile  

On n’improvise pas dans ce domaine. On n’a pas le droit.

Pourquoi, ce gouvernement et le président ne font-ils pas confiance à l’expertise sénégalaise, réputée partout en Afrique et dans les institutions internationales,

Il est atteint de ce mal typiquement sénégalais du complexe d’infériorité ou de supériorité (c’est selon) de nos élites entre ces membres.

On devrait regarder du côté du Maroc, de la Tunisie, de l’Afrique du Sud qui ouvre leurs bras à leurs experts locaux et dans la diaspora.

Pendant ce temps, à longueur de colonnes, de radio et d’antennes, des « experts de tout », ratiocinent, bavassent, discourent et jacassent, sur tout et rien sans aucune compétence sur le sujet et imposent l’actualité.

Les proclamations sur la bonne gouvernance, la nomination plutôt sympathique de Abdou Latif Coulibaly (un des meilleurs journalistes de sa génération, malgré un égo surdimensionné qui très vite va le faire penser qu’il doit être calife à la place du calife), ne fait pas une politique gouvernementale.

Cet engagement qui aurait pu être le véritable marqueur ou, comme dit l’autre trivialement, « le gros rouge qui tâche » de ce nouveau pouvoir, est en train de virer en eau de boudin ou plutôt de « dibi mbouss » pour rester dans le registre sénégalais.

Parions que les proclamations guerrières d’aujourd’hui vont vite s’éteindre, quand on s’apercevra quelle que soit l’estime que nous avons envers nos forces de gendarmerie, qu’elles n’ont pas les qualités techniques et professionnelles d’une brigade financière.

La traque de la délinquance financière, des détournements des biens publics ne s’improvise pas. Elle ne relève pas des mêmes techniques d’enquête policière.

Ce qui ressort des auditions actuelles (ce que la presse en rapporte) est confondant de banalité, si ce n’est d’amateurisme.

Et ce n’est pas le retour triomphal et en une des quotidiens, de tournée en Europe de notre Task Force d’avocats, chargé d’aller débusquer les biens mal acquis planqués dans les coffres des banques occidentales, qui est fait pour nous rassurer.

Ce pouvoir n’aura pas de deuxième chance.

Rappelons que Macky n’a réuni que 719.369 voix, soit 26,57%. La sociologie électorale a depuis longtemps donné la règle.  Au premier tour on choisit, au second on élimine. 
Une règle imparable pour un scrutin majoritaire à deux tours qui avait une signification particulière pour cette élection présidentielle avec quatorze candidats.

Avec un tel score au premier tour le président Macky Sall aurait tort de penser qu’il a un état de grâce.

Son socle électoral c’est un quart de l’électorat sénégalais. C’est faible.

Wade avait fait plus derrière Diouf en 2000 avec 518 740 votants soient 31% des suffrages exprimés et 8 candidats au premier tour.

Le nombre d’inscrits ayant doublé entre 2000 et 2012. Il est passé de 2 725 987 en 2000 à 5 303 555 électeurs en 2012.

La société sénégalaise est grosse d’impatience sur ses attentes, de vérité sur la réalité de la situation économique, de transparence sur les actes de gestion du gouvernement.

Elle n’acceptera pas un succédané de wadisme, ni de dioufisme (de la dernière période).

Il n’est que d’écouter tous les jours ce qui sourd, dans les familles, parmi les salariés du privé et fonctionnaires, parmi les jeunes, lycéens, étudiants, chômeurs, marchands ambulants etc.

La voix des citoyens n’est pas dans cette mauvaise presse, paresseuse, graveleuse, qui tous les jours fait sa chasse aux boucs émissaires – thiantacounes, homo, jeunes femmes et jeunes hommes bien dans leur époque, étrangers – au risque d’entraîner ce pays dans le chaos.

Elle n’est pas non plus dans ces sempiternels bavards, que nous voyons depuis 10 ans meubler la presse télévisuelle à la place des vrais experts reconnus par leurs pairs, dans tous les domaines. Qui n’a pas entendu cette expression courante dans tout le pays : « nous sommes fatigués ». Elle dissimule, une attente très forte vis-à-vis du gouvernement, de la colère rentrée qui trouvera, s’il le faut, son exutoire, un début de défiance vis-à-vis des pouvoirs publics.

Ce gouvernement et le président Macky Sall doivent dire ce qu’ils veulent faire.

Vite.

La chasse aux prévaricateurs et autres délinquants issus du wadisme ne peut tenir de politique, surtout si elle se dégonfle, parce qu’on n’est pas en mesure de leur faire rendre gorge.

Le nouveau code fiscal est un exemple de la capacité des cadres de ce pays à travailler ensemble avec tous les acteurs sur un projet de taille, parce qu’il ne s’agit rien de moins que de renforcer l’avantage compétitif de notre pays, pour promouvoir et attirer des investisseurs.  Ce nouveau code était en chantier avant l’arrivée de Macky Sall au pouvoir.

La nouvelle politique agricole pourrait être une illustration majeure du fonctionnement du nouveau pouvoir.

Pour se défaire au plus vite de l’escroquerie politique que constitue la GOANA, le président et son gouvernement doivent annoncer leurs priorités dans ce domaine.

L’effet d’aubaine de la bonne pluviométrie ne se répétera peut-être pas du fait du dérèglement climatique. Autant alors dire maintenant quelles seront les priorités.

On peut ne pas être d’accord avec les propos de Saliou Sarr, membre du Comité interprofessionnel de la filière du riz de la Vallée, dans « Quotidien du 30 octobre 2012 » sur l’ambition de l’autosuffisance en riz, mais ses propos d’expert producteur sont pertinents. Ils méritent un débat public sur les vertus de la petite exploitation et les grands aménagements hydro agricoles.

 Le gouvernement pendant ce temps là ne communique que sur les errements du wadisme. Alors qu’il est attendu par les citoyens sur les vrais choix économiques et sociaux pour que notre pays ne retombe pas dans ces vieux démons du bavardage, pendant que le Ghana, le Kenya avancent à grand pas et que la Côte d’Ivoire retrouve les chemins de la croissance.

Le narco trafic, à l’œuvre dans les Etats voyous voisins a, désormais, gangrené plusieurs secteurs de notre économie. Ne nous y trompons pas, les arrestations actuelles, pour spectaculaires qu’elles soient ne sont que des épiphénomènes à côté de ce qui va arriver plus tard. Le gouvernement ne nous parle pas des mesures qu’il compte mettre en œuvre pour faire face à ce fléau désormais installé chez nous.     

La rentrée universitaire est catastrophique avec la surcharge explosive des amphis et des salles de TD, la carence avérée, depuis longtemps, du service des œuvres universitaires.

L’université de Dakar est une bombe qui risque de nous exploser à la figure.

Pendant ce temps, le gouvernement ne dit rien et c’est SL Niasse qui meuble avec ses passeports diplomatiques et ses déboires avec le fisc.

Dans quel Sénégal vivons-nous, pour que les enjeux majeurs du développement économique, de l’éducation, soient occultés par quelques apprentis sorciers trop longtemps au-devant de l’actualité, au détriment des débats de fond que les citoyens attendent ?

Et on nous amuse avec Benno Bokk Yaakar, APR, Tanor, Niasse et Idy, qui sont le dernier souci des citoyens sénégalais.

Macky Sall et son gouvernement n’auront pas de seconde chance. Ils gaspillent la première et peut être la seule qu’ils auront.

Courir à Touba, Tivaouane, Kaolack, Ndiassane n’aura plus aucun effet. La chute de Wade nous l’a suffisamment montré.

Babacar FALL